CHAPITRE VII

La Reine n’avait pas noirci le tableau : il était aussi difficile de chercher le peuple des collines qu’une aiguille dans une botte de foin. Tout d’abord, Qui-Gon avait suivi une route bien balisée. Il avait fait du stop et un speeder l’avait sorti des limites de la ville. Ensuite un fermier sympathique lui avait fait faire un bon bout de chemin dans une turbocharrette et, enfin, un adolescent l’avait pris sur sa moto. Mais les routes s’étaient transformées en pistes à peine carrossables au milieu d’un paysage désolé, et il n’y avait plus eu âme qui vive pour l’emmener.

Le troisième jour, il arriva au pied de montagnes ; déchiquetées et escarpées, elles montaient à travers d’épaisses forêts. Parfois, il tombait sur une clairière et découvrait l’inquiétante vision que formaient d’énormes pierres dressées. Au fur et à mesure de son ascension, la beauté sauvage qui l’environnait ne cessait de croître. Les jours, très brefs, s’achevaient sur des couchers de soleil resplendissants. Puis les trois lunes se levaient et éclairaient de leur lueur argentée les roches et les arbres aux formes tourmentées.

Son comlink ne fonctionnait plus. Il espérait qu’Obi-Wan n’aurait pas de problèmes au palais. Il avait hâte de trouver Élan, hâte de rentrer à Galu.

Qui-Gon atteignit le sommet enneigé de la première chaîne de montagnes. Il lui fallait passer par une série de gorges étroites. Il se sentit vulnérable lorsqu’il s’engagea dans le défilé.

Tandis qu’il marchait, le ciel s’assombrit. La température chuta, au point qu’il dut prendre sa cape chauffante dans son paquetage. La neige était dans l’air, une tempête se préparait. Il lui fallait trouver un abri sans tarder.

Peut-être fut-ce parce que son regard fouillait constamment les alentours en quête d’un refuge, ou peut-être encore à cause de l’étrange silence qui pesait sur lui, avec ce ciel évoquant un rideau qui s’abaisse. En tout cas, si ses sens n’avaient pas été en alerte, Qui-Gon n’aurait peut-être pas perçu un vague mouvement sur sa gauche. Ou bien il l’aurait pris pour une ombre dansant sur la pierre ou pour une feuille agitée par le vent. Mais ce détail attira son attention et, lorsque les assaillants passèrent à l’action, il était prêt à les accueillir.

Les bandits fondirent sur lui en piqué à bord de landspeeders équipés à la poupe et à la proue de canons à ions. Qui-Gon jeta son sac de survie à terre et activa son sabre laser, juste à temps : le premier appareil arrivait à sa hauteur. Il l’évita à la dernière seconde, l’envoyant s’écraser contre un arbre, et pivota pour frapper le pilote du second. Le speeder fit un écart sur la gauche, manquant de peu la paroi du canyon. L’assaillant redressa in extremis et vira à quatre-vingt-dix degrés pour revenir à la charge.

Qui-Gon plongea afin de l’esquiver. L’exiguïté du champ de bataille le servait : ils ne pourraient attaquer qu’un par un. Pendant que les engins manœuvraient pour repartir à l’assaut, il repéra un éboulis tout près d’un groupe de pierres dressées. Le canyon était derrière lui, les pierres sur sa gauche. Les bandits ne pourraient venir sur lui que par la droite.

Les speeders étaient au nombre de dix… Non, douze : deux autres descendaient du ciel. L’un d’entre eux fonça sur lui en tirant de tous ses canons. Qui-Gon roula sur le sol dans un déluge d’éclats de roche et se remit debout au moment où le speeder passait en trombe. Il profita de son élan pour frapper le pilote par-derrière. L’homme tomba de son appareil, qui tournoya comme une feuille morte avant de s’écraser. Incapable de se relever, le pilote resta à terre.

Le deuxième speeder était à peine hors de combat qu’un troisième le remplaçait, crachant un feu mortel. Son pilote, plus malin que les autres, volait en zigzag, ses tirs manquant d’un cheveu Qui-Gon tandis que celui-ci bondissait de pierre dressée en pierre dressée pour se mettre à couvert. Le Jedi en appela à la Force. Il en avait bien besoin.

Il la sentit puiser et croître autour de lui et l’attira en lui.

Il riposta promptement, prenant son adversaire par surprise. Il s’aplatit à terre alors que l’appareil le survolait en mitraillant les parois du canyon. Il compta les secondes le temps que le pilote vire de bord pour revenir sur lui. Il quitta alors le couvert des pierres et se redressa, sabre laser brandi. Cette fois, il visa le tableau de commande. Il porta un coup si puissant qu’il sentit l’onde de choc remonter jusque dans son épaule.

La douleur lui embrasa le bras. Mais, en dépit du prix à payer, il avait réussi à mettre le speeder hors d’état de nuire. Celui-ci partit en vrille en crachant un nuage de fumée et heurta de plein fouet un autre speeder qui partait à l’assaut. Tous deux s’écrasèrent au fond du canyon.

Qui-Gon aperçut alors un nouvel appareil sur sa gauche. Son pilote était-il un casse-cou ou un as ? Cela restait à voir. En tout cas, il arrivait à toute allure, fonçant droit sur les pierres dressées. Celles-ci étaient si serrées qu’un speeder avait à peine la place de se glisser entre elles. De plus, elles étaient disposées à intervalles irréguliers, si bien qu’il était presque impossible de slalomer de l’une à l’autre.

Presque, voilà le maître mot, se dit Qui-Gon – mais trop tard.

Le pilote intrépide culbuta brusquement son appareil d’un quart de tour sur la gauche et se faufila par l’étroite ouverture avant de le remettre en position horizontale. Il resta un instant suspendu entre ciel et terre, puis effectua un nouveau quart de tour sur la droite. Il s’engouffra dans la trouée suivante, la franchissant de justesse. Dans moins d’une seconde, il allait canarder le Jedi à loisir.

La Force aida Qui-Gon à réagir, le propulsant au sommet de l’amas rocheux qui lui avait servi d’abri. Un autre speeder fondait déjà sur lui. Surpris par son déplacement inattendu, le pilote vira en catastrophe pour l’éviter sans cesser de tirer. Au même instant, le pilote qui se trouvait entre les pierres activa ses canons. Les deux tirs se croisèrent à mi-chemin, envoyant une charge explosive qui ricocha sur les rochers. L’impact transforma ceux-ci en bombe, les faisant éclater en d’énormes obus qui semblèrent converger vers Qui-Gon au ralenti.

Les projectiles l’atteignirent en pleine poitrine. Sous la violence du choc, il bascula en arrière, lâchant son sabre laser qui vola loin de lui. Il resta allongé sur le dos, sonné, et entendit rugir les moteurs des deux speeders qui prenaient position pour mieux porter le coup de grâce.

L’esprit en déroute, il tâtonna à la recherche de son arme. Une chose était sûre : il était à découvert et pris entre deux feux. Il en appela à la Force pour enjoindre à son sabre laser de venir se placer dans sa main.

Le gémissement suraigu d’un nouveau véhicule lui parvint. Alors qu’il refermait les doigts sur la poignée de son arme, Qui-Gon vit le nouveau venu se faufiler entre les pierres. Il reconnut un swoop, un speeder doté d’un moteur surpuissant, dont les commandes se trouvaient sur les guidons et sur la selle. Seuls les pilotes les plus téméraires pouvaient maîtriser un tel engin. Le moindre effleurement suffisait à le déséquilibrer.

Le premier bandit lui avait semblé audacieux, mais ce pilote-là frôlait l’inconscience. Toutefois, en étudiant sa façon de manœuvrer – si vite qu’il en devinait à peine les contours –, de se pencher d’un côté ou de l’autre, de s’immobiliser pour partir en sens inverse, de passer en trombe sous le ventre de l’autre speeder, le Jedi conclut que son adversaire connaissait parfaitement son affaire.

Il se releva. La douleur le transperça telle une épée chauffée à blanc et il se rendit compte qu’il avait reçu un éclat de rocher dans la jambe. Il invoqua la Force pour qu’elle aide son corps à réagir et lui éclaircisse l’esprit. Le speeder fonçait de nouveau droit sur lui. D’un bond, il évita le tir de ses canons et s’attaqua à l’appareil à basse altitude, frappant le tableau de commande. Le moteur crachota, s’étrangla, et l’appareil s’écrasa.

Le Jedi toucha le sol et esquiva le tir nourri d’un pilote qui venait à la rescousse de son camarade resté dans les pierres. Mais celui-là manquait d’adresse. Il tenta de se faufiler entre les pierres et loupa son coup, les heurtant de plein fouet et s’efforçant désespérément de redresser son appareil.

Qui-Gon vit distinctement le pilote du swoop. Il portait un turban noir enroulé autour de sa tête. Seuls ses yeux étaient visibles. Ses mains gantées agrippaient les guidons, maniant l’appareil avec une dextérité impressionnante. Pourtant, il veillait à laisser au speeder une marge de manœuvre suffisante pour éviter de s’écraser sur les pierres.

Qui-Gon se demanda ce qu’il adviendrait de lui lorsque le pilote du swoop aurait réglé son compte au bandit. Peut-être était-il du même acabit. Qui-Gon allait probablement avoir encore pas mal de pain sur la planche.

Les autres speeders gardaient leurs distances. Ils hésitaient à venir secourir leur camarade perdu dans le labyrinthe des pierres dressées. Pour l’instant, ils ne pensaient plus à Qui-Gon. Celui-ci se redressa, sabre laser au poing. Il était prêt.

Le speeder réussit enfin à s’échapper du cercle des pierres, talonné de si près par le swoop que celui-ci touchait presque son pot d’échappement. Soudain, le swoop pivota et attaqua le speeder par le flanc, le rabattant vers Qui-Gon.

Ce coup d’audace, s’il étonna le Jedi, ne le prit pas au dépourvu. Il s’écarta d’un bond au moment où les canons se mettaient à cracher. Sa blessure à la jambe le rendait maladroit. Il tituba légèrement, puis se retourna pour ne pas perdre le speeder de vue.

Gardant une main sur le guidon, le pilote du swoop prit un blaster de l’autre. Tout en maintenant sans effort sa trajectoire parallèle à celle du speeder, il visa le pilote et tira. La décharge frappa le bandit au poignet. Son hurlement de douleur se mua vite en feulement de rage.

Qui-Gon mit la diversion à profit pour invoquer la Force. Il avait besoin d’une dernière injection d’énergie. La Force le propulsa d’une seule foulée jusqu’au sommet d’une des pierres dressées. Lorsque le speeder passa à sa hauteur, il décocha un coup fulgurant au pilote. L’engin alla s’abîmer au fond du canyon.

Qui-Gon abandonna sa position, trop exposée à son goût. Il entendit le gémissement aigu de plusieurs autres swoops. Levant les yeux, il les vit qui se détachaient sur le ciel gris comme autant d’insectes noirs. Ils étaient au moins une vingtaine qui convergeaient droit sur lui, et d’autres encore arrivaient de la direction opposée.

Il ne pourrait jamais affronter une telle armada. Il observa la débandade des derniers speeders. Quelques swoops se lancèrent à leur poursuite. Était-il tombé au milieu d’une guerre des gangs ?

L’appareil de tête se dirigea vers lui. Ses répulseurs le maintenaient à quelques centimètres au-dessus du sol tandis que le pilote sautait à terre, braquant son arme sur Qui-Gon.

Inutile de chercher à combattre. Qui-Gon désactiva son sabre laser et attendit.

– Qui êtes-vous ? dit le chef d’un ton rogue.

La voix surprit Qui-Gon : c’était celle d’une personne très jeune.

– Qui-Gon Jinn. Je suis un Chevalier Jedi qu’on a envoyé contacter quelqu’un.

L’arme du bandit était désormais pointée sur son cœur.

– Qui ça ?

Après réflexion, Qui-Gon conclut qu’il ne risquait rien à leur confier le but de sa mission. Peut-être pourrait-il négocier avec eux.

– Le chef du peuple des collines. Élan.

Le bandit défit lentement son turban noir. Une masse de cheveux argentés cascada sur ses épaules menues. Devant Qui-Gon se tenait une jeune femme. Trait inhabituel pour une Galacienne, elle avait les yeux aussi sombres qu’un ciel au crépuscule.

Elle le toisa d’un regard impatient, jaugeant le moindre détail et laissant clairement entendre au Jedi qu’il ne l’impressionnait nullement.

– Eh bien, au moins, tu as réussi quelque chose. Tu m’as trouvée.